Licenciement économique après un rachat d’entreprise

17 juin 2021 | Actus

Chez qui apprécier le motif ?

L’employeur d’origine ou le repreneur ?

Une entreprise confrontée à des difficultés économiques qui doit fermer se fait racheter et ses salariés sont repris par le nouvel employeur. Ce dernier peut-il se fonder sur les difficultés économiques de l’entreprise rachetée pour motiver le licenciement économique d’un salarié repris ayant refusé une modification de son contrat de travail ?

Licenciement économique d’une salariée reprise à la suite de la fermeture de son entreprise

Dans cette affaire, un fonds de commerce en difficulté économique et voué à être fermé a été racheté par une autre entreprise. Les contrats de travail des salariés ont été transférés auprès du nouvel employeur.

Le repreneur a proposé une modification du contrat de travail pour motif économique aux salariés repris et notamment à une salariée déléguée du personnel à l’époque, qui l’a refusée. Le repreneur a demandé à l’inspection du travail l’autorisation de licencier la salariée pour motif économique.

L’inspection du travail a autorisé le licenciement, validé ensuite pour le tribunal administratif. Mais la cour administrative d’appel, saisie par le repreneur, a annulé ce jugement et l’autorisation de licenciement de l’inspection du travail.

Les juges d’appel ont considéré que le repreneur ne justifiait pas d’un motif économique valable.

Le repreneur ne peut pas invoquer les difficultés économiques de l’entreprise qui a fermé

Pour justifier du motif économique du licenciement, le repreneur faisait état des difficultés économiques du fonds de commerce. Il mettait également en avant le fait qu’il avait décidé de maintenir la fermeture du fonds de commerce, tel qu’annoncée au moment où il l’avait racheté.

Mais pour la cour administrative d’appel, approuvée par le Conseil d’État, cette justification ne permettait pas de fonder le licenciement économique de la salariée. Le repreneur ne pouvait pas se baser sur les seules difficultés économiques de l’entreprise d’origine, sans apporter d’éléments sur sa situation économique et des sociétés de son groupe relevant du même secteur d’activité.

En effet, ainsi que le rappelle le Conseil d’État dans son arrêt, lorsque la demande d’autorisation de licenciement économique est présentée par une société qui fait partie d’un groupe, l’administration doit examiner la situation économique de l’ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d’activité que la société en cause (CE 29 juin 2020, n° 417940 ; CE 29 juin 2020, n° 423673).

Dans le cas, comme en l’espèce, où la demande de licenciement est formulée par le repreneur d’une entreprise et concerne un salarié dont le contrat de travail lui a été transféré, le repreneur ne peut invoquer, pour justifier le motif économique du licenciement, que ses propres difficultés économiques ou celles de sociétés du groupe auquel elle appartient et relevant même secteur d’activité, et non les difficultés économiques de l’entreprise rachetée.

Le repreneur aurait-il pu invoquer une menace pour sa compétitivité ?

Parmi les autres motifs économiques justifiant un licenciement figure celui de la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise. Lorsque l’entreprise appartient à un groupe, la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécie au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient (c. trav. art. L. 1233-3).

Dans une affaire jugée en 2014, aux faits similaires (absorption d’une société par une autre avec fermeture du site, licenciement à la suite d’un refus de modification du contrat pour motif économique), la cour administrative d’appel avait estimé que l’obligation de rémunérer les salariés ayant refusé la modification de leur contrat (cela concernait 43 salariés sur les 103 salariés repris), sans contrepartie de travail, constituait une charge anormale de nature à affecter la compétitivité de l’entreprise.

Mais le Conseil d’État avait annulé cette décision, car la cour d’appel n’avait pas recherché si ces faits caractérisaient l’existence d’une menace pour la compétitivité du secteur d’activité au niveau du groupe (CE 12 mars 2014, n° 368282).

Signalons que dans cet arrêt, le Conseil d’État n’avait pas répondu au moyen principal du pourvoi formé par les salariés, qui estimaient qu’une « charge anormale » ne permettait pas de caractériser une menace réelle sur la compétitivité. Le rapporteur public à l’époque avait considéré que « en faisant seulement état d’une charge anormale, la cour n'[avait] pas vérifié l’existence d’une véritable menace sur la compétitivité de l’entreprise (https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2014-03-12/368282?download_pdf).

CE 14 juin 2021, n° 438431

(source rf)

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