Recours au vote électronique par accord collectif ou décision unilatérale : la Cour de cassation fixe trois nouvelles règles
Quand l’employeur peut-il décider seul le recours au vote électronique ? Doit-il négocier même en l’absence de délégué syndical ? Quelle est la procédure applicable en cas de contentieux ? La Cour de cassation répond très clairement à ces différentes questions dans un arrêt du 13 janvier 2021. Hasard du calendrier, elle donne les clefs du vote électronique alors que la crise sanitaire le rend particulièrement pertinent.
Mettre en place le vote électronique pour les élections professionnelles
Le vote électronique peut être mis en place pour les élections professionnelles (c. trav. art. L. 2314-26 et R. 2314-5) :
-par un accord d’entreprise ou de groupe,
-ou, à défaut d’accord, par une décision unilatérale de l’employeur.
En l’espèce, l’employeur avait décidé seul de recourir au vote électronique pour la mise en place du comité social et économique (CSE) parce que son entreprise était dépourvue de délégué syndical (DS).
Un syndicat avait alors saisi les juges pour leur demander l’annulation de cette décision unilatérale.
L’affaire est allée jusque devant la Cour de cassation.
L’employeur doit d’abord tenter de négocier avant de décider seul
La négociation n’est pas une option. – La Cour de cassation saisit l’occasion de cette affaire pour préciser ce qu’il faut entendre par le « défaut d’accord » permettant à l’employeur de recourir seul au vote électronique. Faut-il comprendre que l’employeur :
-a le choix entre négocier collectivement et décider seul,
-ou qu’il doit d’abord tenter de négocier avant de pouvoir adopter une décision unilatérale ?
Pour la Cour de cassation, « ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut prévoir par décision unilatérale la possibilité et les modalités d’un vote électronique ». La négociation n’est donc pas une option.
Une solution déjà connue. – La Cour de cassation transpose ainsi au vote électronique la position qu’elle a prise pour la définition des établissements distincts. En effet, « ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut fixer par décision unilatérale le nombre et le périmètre des établissements distincts » (c. trav. art. L. 2313-4 ; cass. soc. 17 avril 2019, n° 18-22948 FSPBRI).
Dans la note explicative accompagnant l’arrêt du 13 janvier 2021, la Cour de cassation rappelle que le législateur a accordé la « prévalence » à la négociation collective pour la détermination du processus électoral. Ainsi, il faut privilégier « l’accord collectif à la décision unilatérale lorsque la loi autorise la décision unilatérale à défaut ou en l’absence d’accord ».
L’avenir dira sans doute s’il faut étendre cette solution au-delà du champ des élections professionnelles.
Faute de DS, l’employeur n’est pas tenu de tenter une négociation avec les élus ou des salariés mandatés
Négocier avec le DS ou, à défaut, décider seul. – L’employeur doit donc tenter de négocier avant de décider seul, mais comment doit-il procéder en l’absence de DS ?
En l’espèce, le syndicat faisait valoir qu’avant de décider seul l’employeur aurait dû tenter de négocier :
-soit avec des élus mandatés ou non mandatés,
-soit directement avec des salariés mandatés.
En d’autres termes, le syndicat considérait que, faute de DS, l’employeur aurait dû recourir aux modalités dérogatoires de négociation prévues par le code du travail pour les entreprises d’au moins 50 salariés (c. trav. art. L. 2232-24 et s.).
Le tribunal judiciaire, approuvé par la Cour de cassation, balaie cet argument.
Les modalités de négociation dérogatoire sont subsidiaires. – Dans sa note explicative, la Cour de cassation souligne que les dispositions sur la négociation dérogatoire sont « subsidiaires ». En l’absence de DS, elles permettent à l’employeur de parvenir malgré tout à élaborer un accord, par exemple dans le cadre de la négociation obligatoire. « Or, dans le cas du vote électronique, la loi prévoit justement un autre type de disposition subsidiaire, en autorisant la décision unilatérale de l’employeur ».
En outre, prendre une décision unilatérale a le mérite d’être plus rapide que mettre en œuvre une négociation dérogatoire, ce qui, comme le souhaitait le législateur, favorise le recours au vote électronique.
Il faut donc retenir qu’en l’absence de DS dans l’entreprise, l’employeur peut décider seul du recours au vote électronique dans la mesure où il ne peut pas négocier un accord collectif selon la voie classique.
La contestation de la décision de recours au vote électronique relève du contentieux du processus électoral
Enfin, la Cour de cassation répond à une troisième question, celle de la procédure applicable en cas de litige. Faut-il suivre celle du contentieux des accords collectifs ou celle du contentieux des élections professionnelles ?
Le contentieux des accords collectifs relève du tribunal judiciaire (TJ) statuant en premier ressort, tandis que celui du processus électoral relève aussi du TJ mais qui statue alors en dernier ressort. Le jugement rendu en premier ressort est celui qui peut faire l’objet d’un recours devant la cour d’appel. Celui qui est rendu en dernier ressort n’est pas susceptible d’appel mais il peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation. C’est d’ailleurs cette voie que le syndicat avait prise et que contestait l’employeur.
Certes, l’accord collectif organisant le vote électronique est un accord de droit commun distinct du protocole préélectoral (cass. soc. 28 septembre 2011, n° 10-27370, BC V n° 202).
Cependant, l’objet de cet accord collectif est exclusivement en lien avec l’organisation des élections professionnelles. Or, comme le souligne la Cour de cassation dans sa note explicative, « le législateur et la jurisprudence s’efforcent de créer un bloc de compétence en ce domaine ». En effet, le TJ, statuant en dernier ressort, se voit confier tout le contentieux du processus préélectoral et électoral (ex. : compétence pour statuer sur les décisions de l’inspection du travail en matière de d’établissements distincts ou de répartition des électeurs dans les collèges).
Poursuivant dans cette logique, la chambre sociale décide aujourd’hui que le contentieux portant sur l’accord collectif – ou à défaut la décision unilatérale de l’employeur – décidant du recours au vote électronique relève du TJ statuant en dernier ressort.
Cass. soc. 13 janvier 2021, n° 19-23533 FSPBRI ; note explicative, www.courdecassation.fr
(source rf)