Un employeur qui attribue des titres-restaurant à ces salariés peut cesser d’en faire bénéficier les télétravailleurs. Il s’en justifie en avançant que les situations ne sont pas comparables, les télétravailleurs pouvant se restaurer à leur domicile et éviter ainsi le surcoût d’une restauration prise hors de chez eux.
Un syndicat attaque des employeurs ayant cessé d’attribuer des titres-restaurant aux télétravailleurs
Plusieurs sociétés d’une UES attribuaient des titres-restaurant à leurs salariés affectés sur un site qui n’avait pas accès à un restaurant d’entreprise, ainsi qu’aux salariés en télétravail.
Dans le contexte de la pandémie liée au covid-19, ces sociétés ont placé la plupart de leurs salariés en télétravail dès le premier confinement de mars 2020.
À partir de cette date, elles ont cessé d’attribuer des titres-restaurant aux salariés en télétravail.
Une organisation syndicale a alors saisi le tribunal judiciaire de Nanterre en soutenant que, pour chaque jour travaillé au cours duquel le repas est compris dans les horaires journaliers des salariés, ces derniers doivent bénéficier des titres-restaurants.
Elle n’a pas obtenu gain de cause.
À noter : pour mémoire, l’attribution de titres-restaurant n’est pas légalement obligatoire. La question du droit des télétravailleurs à en bénéficier ne se pose donc pas si l’employeur n’en attribue pas du tout à ses salariés.
Des droits identiques aux salariés sur site, mais à situation comparable
Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise (c. trav. art. L. 1222-9). L’ANI du 19 juillet 2005 relatif au télétravail évoque le principe de droits et d’avantages identiques entre les télétravailleurs et les salariés sur site « en situation comparable » (art. 4).
Le ministère du Travail a rappelé ce principe dans son document questions/réponses sur le télétravail (Q/R sur le télétravail en période de covid-19, www.travail.gouv.fr).
Après plusieurs versions, dont une du 5 octobre 2020 plus étayée qui permettait aux employeurs de prévoir des critères d’attribution (voir notre actu du 9/10/2020, « Les télétravailleurs ont droit aux titres-restaurant, mais pas forcément aux mêmes conditions selon le ministère »), le ministère s’en tient, depuis le 9 novembre, au simple rappel des textes susvisés et relève qu’en application du principe général d’égalité de traitement entre salariés, lorsque les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient des titres-restaurant, les télétravailleurs doivent aussi en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes (voir notre actu du 10/11/2020, « Télétravail : les nouvelles réponses du ministère du Travail sur la prise en charge des frais et les titres-restaurant »),
À cet égard, le tribunal judiciaire de Nanterre ne conteste pas que les télétravailleurs doivent effectivement bénéficier des tickets-restaurant si leurs conditions de travail sont équivalentes à ceux travaillant sur site sans restaurant d’entreprise.
Mais c’est là que le bât blesse. Pour les juges, les télétravailleurs ne sont pas dans une situation comparable.
Un télétravailleur qui peut se restaurer chez lui n’est pas dans la même situation qu’un salarié sur site
C’est donc parce qu’il a jugé qu’un salarié en télétravail n’est pas dans la même situation qu’un salarié sur site que le tribunal n’a pas donné gain de cause au syndicat.
À ses yeux, l’objectif poursuivi par l’employeur en attribuant ces titres-restaurant était de permettre à ses salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile. Or, relève le Tribunal, les salariés de l’UES, placés en télétravail, le sont à leur domicile.
Le tribunal en déduit que les salariés télétravailleurs ne sont pas dans une situation comparable aux salariés travaillant sur site qui n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise. En l’absence de surcoût lié à leur restauration hors de leur domicile, ces salariés ne pouvaient donc pas prétendre à l’attribution de titres-restaurant.
Il rappelle, en outre, que le titre-restaurant est défini comme un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour leur permettre d’acquitter en tout ou partie le prix du repas consommé au restaurant ou dans un lieu assimilé (c. trav. art. L. 3262-1).
Le tribunal de Nanterre n’est pas le premier juge à écarter tout droit aux titres-restaurant pour les télétravailleurs. Hors crise sanitaire, la cour d’appel de Riom a jugé dans un arrêt du 4 décembre 2018 que la différence de traitement dans ce domaine entre les télétravailleurs et les salariés sur site était fondée dès lors que ces salariés étaient dans des situations différentes (CA de Riom, 4e ch.civ., 4 décembre 2018, n° 17/00463). Pour la cour d’appel, le titre restaurant est un avantage en nature versé au salarié contraint de prendre ses repas hors de chez lui et qui vient ainsi compenser le surcoût engendré par ce mode de restauration.
La décision du tribunal judiciaire de Nanterre doit bien entendu être prise avec les précautions d’usage (il s’agit d’un jugement de première instance). L’avenir nous dira ce qu’il adviendra de cette affaire en appel, voire devant la Cour de cassation.
Et côté URSSAF ? |
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Le Bulletin officiel de sécurité sociale, dont le contenu sera opposable à partir du 1er avril 2021, précise que dans les entreprises dont les salariés bénéficient de titres-restaurant, il peut en être de même pour les télétravailleurs (à domicile, nomades ou en bureau satellite). Ces titres restaurants ouvrent droit, selon l’administration, aux mêmes exonérations, sous les mêmes conditions, que pour les salariés sur site (BOSS, Frais professionnels, § 1800–1/04/2021).Indépendamment de la question de droit du travail qui était soumise au Tribunal judiciaire de Nanterre (faut-il obligatoirement maintenir les titres-restaurant aux salariés qui basculent en télétravail ?), les employeurs qui continuent d’attribuer des titres-restaurant à leurs télétravailleurs conservent donc, en l’état du BOSS, le bénéfice du régime social de faveur prévue par la réglementation de sécurité sociale (si les conditions requises sont, bien entendu, respectées). |
Tribunal judiciaire Nanterre, 10 mars 2021, n° RG 20/09616 ; https://revuefiduciaire.grouperf.com/plussurlenet/complements/TJ_Nanterre_TR_10mars2021.pdf
(source rf)