Remise en cause des jours de RTT et de CET imposés aux salariés pendant la crise sanitaire

28 avril 2021 | Actus

La cour d’appel de Paris sème le doute dans la possibilité donnée aux entreprises d’aménager unilatéralement la prise de jours de RTT et de CET dans le contexte de la crise sanitaire. Selon ces juges, une entreprise ne pourrait faire usage de ces mesures dérogatoires que si elle prouve avoir rencontré des difficultés économiques liées à la propagation du covid-19.

Rappel des mesures d’urgence prévues pour les RTT et les jours de CET

Au printemps 2020, la première loi d’urgence covid-19 a habilité le gouvernement à légiférer par ordonnance « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 », et à prendre des mesures dérogatoires notamment en matière de durée du travail, de congés et de repos (loi 2020-290 du 23 mars 2020, art. 11, 1°, b, JO du 24).

Sur ce fondement, une ordonnance du 25 novembre 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jour de repos permet aux employeurs d’aménager unilatéralement la prise de jours de RTT et de certains autres jours de repos si l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 (ord. 2020-323 du 25 mars 2020, art. 2 et 3, JO du 26). L’employeur peut ainsi :

-imposer la prise, à des dates déterminées par lui, de jours de repos au choix du salarié acquis par ce dernier ;

-modifier unilatéralement les dates de prise de jours de repos.

Pour les mêmes raisons, l’employeur peut aussi imposer que les droits affectés sur le compte épargne-temps (CET) du salarié soient utilisés par la prise de jours de repos, dont il détermine les dates (ord. 2020-323 du 25 mars 2020, art. 4).

Ces mesures unilatérales ne peuvent concerner qu’un nombre maximal total de 10 jours de repos (ord. 2020-323 du 25 mars 2020, art. 5).

C’est en application de ces textes que le groupe pharmaceutique Sanofi a pris certaines mesures à l’égard de ses salariés.

10 jours de repos imposés à des salariés dans le contexte de la crise sanitaire

Dans le contexte du premier confinement (de mars à mai 2020), le groupe avait prévu des mesures spécifiques pour les salariés qui ne pouvaient pas télétravailler, en tout ou en partie, sur cette période.

Il avait imposé à ces salariés la prise de 10 jours de repos ou de RTT. Pour ceux qui ne disposaient pas de tels jours, ou plus suffisamment sur l’exercice en cours, le groupe avait alors prélevé automatiquement des jours épargnés par les salariés sur leurs CET.

Contestant ces dispositions, la Fédération nationale des industries chimiques CGT (FNIC-CGT) a intenté une action en référé devant le tribunal judicaire de Paris pour qu’il soit jugé que les mesures prises par le groupe constituaient un trouble manifestement illicite et pour que les salariés soient recrédités des jours imposés ou prélevés sur leurs CET.

Pour la FNIC-CGT, l’ordonnance du 25 mars 2020, telle que formulée, impliquait que l’obligation faite aux salariés de prendre 10 jours de repos aurait dû être limitée aux entreprises subissant des difficultés économiques liées à la propagation ducovid-19, ce qui n’était pas le cas du groupe.

Le tribunal judiciaire n’a pas fait droit à la demande du syndicat, contrairement à la cour d’appel de Paris.

Pour la cour d’appel de Paris, l’entreprise doit rencontrer des difficultés économiques liées à la propagation du covid-19

La cour d’appel de Paris a jugé que les mesures prises par le groupe constituaient bien un trouble manifestement illicite.

Elle rappelle que l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit « expressément et clairement » que la prise des mesures dérogatoires ne peut intervenir que lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19.

À ses yeux, pour légitimer les mesures contestées, le groupe aurait donc dû rapporter la preuve qu’il rencontrait des difficultés économiques liées à la propagation du covid-19, ce qu’il n’a pas fait.

Les arguments avancés par le groupe n’ont pas été jugés suffisants, à savoir la nécessité de s’adapter face à une augmentation inattendue de l’absentéisme tenant au fait qu’une partie des salariés se trouvaient à leur domicile sans pouvoir exercer leur activité en télétravail, mais aussi la nécessité d’aménager les espaces de travail et d’adapter le taux d’occupation des locaux en raison des conditions sanitaires.

En revanche, la cour d’appel a jugé irrecevable la demande de la FNIC-CGT impliquant de rétablir les salariés dans leurs droits étant donné qu’il s’agit de mesures individuelles qui ne relèvent pas de la défense de l’intérêt collectif de la profession mais, le cas échéant, de la seule compétence d’attribution de la juridiction prud’homale.

La Cour de cassation ira-t-elle dans le même sens ?

Cet arrêt de la cour d’appel de Paris a fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Cette décision de la Cour de cassation devrait être fortement attendue par les entreprises qui ont utilisé cette faculté offerte par l’ordonnance du 25 mars 2020.

Remarque : à l’heure où nous rédigeons, cette mesure est applicable jusqu’au 30 juin 2021. L’avant-projet de loi sur la gestion de sortie de crise sanitaire dévoilé mi-avril prévoit d’étendre son application jusqu’au 31 octobre 2021 (voir notre actualité du 16 avril 2021, « Crise sanitaire : le gouvernement envisage de prolonger certaines mesures RH/paye exceptionnelles »).

Reste à savoir si elle abondera dans le sens de la cour d’appel ou si elle suivra plutôt le chemin du tribunal judiciaire qui a, à l’inverse, écarté les arguments de la FNIC-CGT en rappelant que la loi d’urgence du 23 mars 2020 indique que ces mesures dérogatoires interviennent « pour faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation » (loi 2020-290 du 23 mars 2020, art. 11, JO du 24).

Cour d’appel de Paris, arrêt du 1er avril 2021, n° RG 20/12215 ; https://revuefiduciaire.grouperf.com/plussurlenet/complements/20210428_CAParis01042021RTTcovid19.pdf

(source rf)

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