Dans deux arrêts publiés du 9 juin 2021, la Cour de cassation rappelle aux juges judiciaires quel est leur rôle quand ils sont saisis d’une contestation du découpage en établissements distincts par l’employeur. Ils doivent notamment vérifier que les directeurs d’établissement sont suffisamment autonomes.
Contestation du découpage retenu par l’employeur pour la mise en place du CSE
Décision unilatérale de l’employeur en l’absence d’accord. – Un CSE central et des CSE d’établissement doivent être mis en place quand une entreprise d’au moins 50 salariés est composée d’établissements distincts.
Le périmètre de ces établissements distincts est en principe négocié par accord mais il peut arriver, comme dans les deux affaires soumises à la Cour de cassation, qu’aucun accord ne détermine le nombre et le périmètre des établissements en question. Dans cette situation, l’employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel (c. trav. art. L. 2313-2, L. 2313-3 et L. 2313-4).
La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser qu’un établissement est distinct quand il présente une autonomie suffisante en matière de gestion du personnel et d’exécution du service du fait notamment de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable (cass. soc. 19 décembre 2018, n° 18-23655 FSPBRI).
Elle a aussi précédemment indiqué que la centralisation de fonctions support ou l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège n’excluent pas en elles-mêmes l’autonomie de gestion des responsables d’établissement (cass. soc. 11 décembre 2019, n° 19-17298 FPB).
Rôle de l’administration et du juge en cas de contestation de la décision de l’employeur. – En cas de litige portant sur cette décision, le DREETS (à l’époque des faits, le DIRECCTE) définit le nombre et le périmètre des établissements distincts.
Cette décision de l’autorité administrative peut elle-même faire l’objet d’un recours devant le tribunal judiciaire (à l’époque des faits, le tribunal d’instance) (c. trav. art. L. 2313-5).
La Cour de cassation a récemment indiqué à ce propos que le DREETS et le juge doivent s’appuyer sur les documents relatifs à l’organisation interne de l’entreprise que fournit l’employeur, et sur les documents remis par les syndicats contestant sa décision (cass. soc. 22 janvier 2020, n° 19-12011 FSPB).
En outre, la compétence du tribunal judiciaire porte sur l’ensemble de la décision administrative (cass. soc. 19 décembre 2018, n° 18-23655 FSPBRI).
C’est précisément sur le rôle du juge en la matière que portent les deux arrêts de la Cour de cassation du 9 juin 2021.
1ere affaire : le juge aurait dû rechercher l’autonomie effective des directeurs d’établissement
Validation par le juge d’un découpage en 7 établissements distincts. – Dans la première espèce (n° 19-23745 FSPR), l’employeur, une association, avait fixé unilatéralement à 7 le nombre des établissements distincts.
Le DIRECCTE avait annulé cette décision et considéré qu’un CSE unique devait être mis en place.
Le juge d’instance, saisi par l’employeur, a annulé la décision du DIRECCTE et a validé la décision unilatérale de l’employeur. Il a en effet retenu que les deux exemples de délégations de pouvoir, vraisemblablement fournis par l’employeur, donnaient au directeur d’établissement une « autorité sur l’ensemble du personnel employé dans votre établissement ». Ces délégations prévoyaient aussi que les directeurs assuraient « la gestion du personnel dans le cadre des procédures prévues par l’association ». Toujours selon le juge d’instance, la preuve de la mise en pratique de ces délégations était fournie notamment par :
-la négociation d’une rupture conventionnelle par le directeur d’un établissement,
-la demande d’homologation d’une rupture conventionnelle par le directeur d’une autre structure,
-et une convocation à un entretien préalable de licenciement émise par un autre directeur.
Les arguments des syndicats pour un CSE unique. – Les syndicats, souhaitant la mise en place d’un CSE unique, se sont pourvus en cassation. Ils avançaient notamment les arguments et documents suivants :
-le pouvoir de conclure des ruptures conventionnelles était détenu par la seule direction centrale au regard du procès-verbal d’une réunion du précédent CE ;
-le pouvoir d’un directeur d’établissement de prendre seul la décision de licencier ne pouvait être déduit de la lettre de convocation à un entretien préalable à un licenciement qu’il avait rédigé ;
-l’autonomie dans l’embauche, les sanctions et les ruptures des directeurs d’établissement ne pouvait être déduite d’une délégation de compétence leur donnant « autorité sur l’ensemble du personnel » et leur permettant d’assurer « la gestion du personnel dans le cadre des procédures prévues par l’association ».
La Cour de cassation recadre le juge du fond. – Avant de donner sa solution, la Cour de cassation reprend d’abord le code du travail et sa propre jurisprudence que nous avons rappelés ci-avant.
Elle reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les directeurs des établissements avaient « effectivement une autonomie de décision suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service » et ce, en prenant en compte les éléments produits par l’employeur mais aussi ceux fournis par les syndicats.
Puis, les juges du fond auraient dû vérifier si la reconnaissance à ce niveau d’établissements était de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives du CSE.
La Cour de cassation censure donc la décision du tribunal d’instance et renvoie l’affaire devant un autre tribunal.
2nde affaire : le juge du fond se fait aussi rappeler à l’ordre
L’employeur a mis en place un CSE unique. – Dans la seconde espèce (n° 19-23153 FSPR), l’employeur avait mis en place un CSE unique.
Saisi par les syndicats, le DIRECCTE avait quant à lui fixé à 3 le nombre des établissements distincts.
L’employeur a alors saisi le tribunal d’instance mais il n’a pas obtenu gain de cause. Les juges du fond ont en effet considéré que la décision du DIRRECTE était bien fondée en fait et en droit notamment parce qu’elle avait bien pris en compte l’autonomie requise en matière de gestion du personnel et d’exécution du service.
L’employeur s’est alors pourvu en cassation en reprochant notamment au juge du fond :
-de ne pas avoir fait son office en appréciant le découpage opéré par le DIRECCTE en fonction de tous les faits et de toutes les preuves qu’il lui avait soumis, mais en se limitant à considérer que la décision du DIRECCTE était « parfaitement motivée » ;
-de n’avoir constaté aucune manifestation concrète de l’autonomie de gestion des responsables des RH en matière de gestion du personnel, alors qu’un établissement distinct se caractérise notamment par une autonomie suffisante en matière de gestion du personnel au regard de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son directeur.
La Cour de cassation recadre aussi le juge du fond faute d’avoir recherché l’autonomie des directeurs d’établissement. – Dans cette affaire aussi la Cour de cassation casse la décision du tribunal d’instance et renvoie l’affaire devant un autre tribunal et ce, quasiment dans les mêmes termes que pour la première espèce.
Ici aussi, le juge d’instance aurait dû rechercher si les responsables des établissements concernés avaient « effectivement une autonomie de décision suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service » et si la reconnaissance à ce niveau d’établissements distincts était de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives du CSE.
cass. soc. 9 juin 2021, n° 19-23745 FSPR ; cass. soc. 9 juin 2021, n° 19-23745 FSPR
(source rf)