Harcèlement moral : jusqu’à quand le salarié peut-il agir en justice

15 juin 2021 | Actus

Le salarié victime de harcèlement moral a 5 ans pour agir en justice devant le conseil de prud’hommes. À partir de quelle date faut-il se placer pour apprécier ce délai, alors que les faits de harcèlement durent dans le temps ? Quelle incidence d’un arrêt de travail du salarié lié au harcèlement ? Réponse de la Cour de cassation dans un arrêt publié du 9 juin 2021.

Une salariée qui saisit l’inspection du travail en septembre 2009 à propos d’un arrêt de travail lié à un harcèlement moral

Dans cette affaire, une salariée a été licenciée pour inaptitude le 17 novembre 2009. Elle a saisi les prud’hommes le 10 novembre 2014 pour demander la nullité de son licenciement au titre du harcèlement moral dont elle estimait avoir été victime.

Le 9 septembre 2009, la salariée s’est en effet présentée à l’inspection du travail pour indiquer être en arrêt de travail pour dépression depuis avril 2009 et avoir fait l’objet d’une forme de harcèlement moral sur son lieu de travail (on suppose que son arrêt de travail est en partie lié au harcèlement moral qu’elle prétend subir).

L’action devant les prud’hommes en novembre 2014 était-elle recevable ?

La cour d’appel a considéré que le harcèlement moral était caractérisé au vu du rapport établi par l’inspection du travail. Elle a donc prononcé la nullité du licenciement de la salariée et condamné l’employeur au versement de dommages et intérêts au titre du harcèlement (10 000 €) et du licenciement nul (12 000 €).

L’employeur a contesté cette décision considérant que la salariée avait dépassé le délai pour agir.

Rappelons que, s’agissant du harcèlement moral (et sexuel), le délai de prescription prévu par le code du travail ne joue pas (c. trav. art. L. 1471-1). C’est le délai de droit commun de 5 ans qui s’applique (c. civ. art. 2224).

Le point de départ de ce délai de 5 ans court à partir du jour où la personne a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

En l’espèce, l’employeur considérait qu’au 9 septembre 2009, la salariée connaissait les faits lui permettant de faire reconnaître le harcèlement moral, date à laquelle elle avait saisi l’inspection du travail à ce sujet.

Par conséquent, il estimait que le délai pour agir en justice devait commencer au 9 septembre 2009 et que la prescription était donc acquise le 10 septembre 2014. L’action de la salariée devant les prud’hommes ayant été intentée le 10 novembre 2014, elle devait être déclarée irrecevable.

Le délai de 5 ans pour agir n’était pas expiré selon la Cour de cassation

Point de départ du délai de prescription au jour du licenciement. – La Cour de cassation rejette les arguments de l’employeur et valide la décision de la cour d’appel.

Selon la Cour de cassation, la cour d’appel a relevé que la salariée soutenait avoir été victime d’agissements de harcèlement moral au-delà de sa mise en arrêt de travail. En conséquence, le délai de prescription de 5 ans devait débuter le 17 novembre 2009, date de son licenciement dont elle demandait la nullité du fait du harcèlement moral.

La cour d’appel a donc eu raison de décider que la salariée avait jusqu’au 17 novembre 2014 pour saisir le conseil de prud’hommes, peu important qu’elle ait été en arrêt maladie du fait du harcèlement moral à partir d’avril 2009.

Prise en compte des faits antérieurs au délai de prescription. – L’employeur reprochait également à la cour d’appel d’avoir pris en compte des faits de harcèlement moral couverts par la prescription. Selon lui, à la date de la saisine du conseil de prud’hommes, le 10 novembre 2014, les faits de harcèlement moral antérieurs au 10 novembre 2009 étaient prescrits.

La Cour de cassation rejette là aussi ses arguments. Elle considère que la cour d’appel pouvait se fonder sur l’ensemble des faits invoqués par la salariée permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral, quelle que soit la date de leur commission.

Ainsi, même les faits qui ont été commis depuis une durée supérieure au délai de prescription peuvent être invoqués dans une action en justice liée à un harcèlement moral.

En ce sens, la chambre sociale rejoint la chambre criminelle de la Cour de cassation qui a considéré que la prescription de l’action publique (6 ans) ne commence à courir, pour chaque acte de harcèlement incriminé, qu’à partir du dernier et que le juge pénal doit, pour apprécier le délit de harcèlement moral, analyser les faits depuis leur origine, y compris ceux antérieurs au délai de prescription. En l’espèce, les faits s’étaient déroulés sur une période de 20 ans (cass. crim. 19 juin 2019, n° 18-85725 FPBI).

Cass. soc. 9 juin 2021, n° 19-21931 FSP https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/719_9_47270.html

(source rf)

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