Depuis la nuit des temps, les différentes sphères d’activité ont établi leurs propres codes vestimentaires, comme en témoignent notamment les cols blancs (employés de bureau à la chemise amidonnée) qui ont été si longtemps opposés aux cols bleus (ouvriers vêtus d’une combinaison de toile bleue).
Pour autant, cela n’empêche pas les « dress codes » d’évoluer. Tenant généralement compte du genre, de la hiérarchie, des codes de l’entreprise et des mœurs sociales, ils changent au même rythme que tous ces paramètres. Inévitablement, la crise sanitaire, grand bouleversement sociétal s’il en est, a donc influé sur la façon de se vêtir au travail. Voyons de quelle manière…
Des codes moins rigides depuis le début des années 2000
Avant même de parler de la « corona-révolution vestimentaire (!) », soulignons l’évolution notoire déjà constatée depuis environ deux décennies… D’une part, les start-ups et leurs tenues décontractées (ou « casual ») avaient commencé à désacraliser les traditionnels costume-cravate/tailleur-escarpins. D’autre part, l’importation du Friday wear américain (le fait de s’habiller à sa guise le dernier jour de la semaine), avait aussi contribué à relaxer les tenues. Effet immédiat sur les penderies masculines : le cabinet d’études Kantar soulignait que les ventes annuelles de costumes s’étaient effondrées de près de 60 % en France, entre 2011 et 2019 !
L’effet télétravail
Quel télétravailleur en visioconférence n’a pas, au moins une fois, arboré un « haut » correct dans le champ de la caméra, tandis que le bas de pyjama restait caché sous le bureau ? Et ne parlons pas des journées sans Visio, au cours desquelles était plébiscité le combo « survêt-tee-shirt-grosses chaussettes ». Bref, le télétravail a clairement fait voler en éclats les codes vestimentaires. Et si les nouvelles habitudes semblent difficiles à importer au bureau dans leur totalité, il est certain que la souplesse qui pointait déjà avant la pandémie va encore gagner du terrain. Il est fort probable par ailleurs, que les dirigeants lâchent aussi du lest, plus soucieux de l’énergie que les collaborateurs mettent à assurer la reprise économique que celle qu’ils mettent à s’apprêter…
Modification du rapport au travail
Télétravailleurs ou non, de nombreux salariés confrontés à la pandémie ont reconsidéré leur rapport au travail. Ainsi, en juin dernier, le Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) publiait une étude intitulée « Comment la pandémie de Covid-19 a-t-elle bouleversé le rapport au travail ? ». Cette enquête, menée auprès de 3029 personnes interrogées entre octobre 2020 et avril 2021, nous apprenait que 10 % des salariés déclaraient être confrontés à une perte de sens. Or, adopter le code vestimentaire d’une entreprise, c’est, implicitement, accepter ses valeurs, quand bien même elles ne seraient pas les nôtres… Parce que j’occupe une fonction commerciale, j’accepte de cacher mon tatouage et de renoncer aux jean-sweat-shirt dans lesquels je me sens si bien, au bénéfice de la tenue « corporate ». Cependant, après une crise sanitaire mondiale et 18 mois passés loin du bureau, les remises en question se multiplient. La « valeur travail » s’est effondrée pour certains, entraînant tout l’implicite qui va avec. Diminuer la rigueur de sa tenue vestimentaire peut alors être un moyen de se remettre en cohérence avec soi-même… L’apparence que l’on adopte est un outil de communication au même titre que le verbe. Elle en dit même quelquefois plus long !
Mais au fait, que dit la loi en matière de tenue vestimentaire ?
Si le Code du travail protège la « liberté vestimentaire » des salariés (Code du travail, art. L. 1121-1), la loi prévoit tout de même des restrictions. Elles sont justifiées, primo, par la notion de « décence » (étant entendu que cette notion étant affaire de codes sociaux, elle est relative, et peut différer selon les entreprises) ; et, secundo, par « la nature de la tâche à accomplir ». Ainsi par exemple, les domaines de la santé, de la construction ou encore de la restauration, qui sont régis par des règles d’hygiène ou de sécurité, rendent obligatoires certains équipements tels que la blouse ou les vêtements de sécurité. Ces métiers limitent de facto la créativité vestimentaire du salarié ! De plus, l’employeur peut aussi restreindre la liberté vestimentaire du salarié pour des raisons tenant à l’image de l’entreprise. Les métiers du luxe, ou, d’une manière générale, qui mettent le salarié en rapport avec du public nécessitent, par exemple, une « tenue correcte ». Dans ce cas, les règles propres à chaque entreprise doivent apparaître sur un support écrit, tel que la convention collective, le règlement intérieur, le contrat de travail ou encore une note de service. Ces obligations doivent cependant être justifiées : le Code du travail spécifiant qu’aucun acte de l’employeur « ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
(Source Editions TISSOT)