Congés payés : impossible de renoncer aux jours de fractionnement dans le contrat de travail

10 mai 2021 | Actus

Les salariés peuvent-ils, par avance dans le contrat de travail, donner leur accord au fractionnement du congé principal et renoncer à leurs droits aux jours de fractionnement ? 

Fractionnement du congé principal : les notions de base

Au sein des congés payés, on appelle congé principal (dit parfois congés « d’été ») la fraction correspondant aux 4 premières semaines de congés payés. Le code du travail encadre les règles de fractionnement de ce congé par un certain nombre de règles.

1/ Le congé principal d’une durée supérieure à 12 jours ouvrables, et au plus égale à 24 jours, ne peut être fractionné qu’avec l’accord du salarié (c. trav. art. L. 3141-23). Le fractionnement ne peut pas être imposé au salarié (cass. soc. 19 avril 2000, n° 98-40790 D). A contrario, l’employeur, à qui il appartient de fixer les congés payés, n’est donc pas tenu, sur le principe, d’accepter une demande de congé fractionné (il peut fixer les 4 semaines d’été à la suite).

La seule exception à la nécessité d’obtenir l’accord du salarié pour fractionner le congé principal, c’est l’hypothèse d’une fermeture de l’entreprise pour congés payés (c. trav. art. L. 3141-19).

2/ Une fraction d’au moins 12 jours ouvrables doit être prise en continu entre deux jours de repos hebdomadaires, entre le 1er mai et le 31 octobre (c. trav. art. L. 3141-19 et L. 3141-23).

3/ Sauf accord collectif contraire, les jours du congé principal (donc hors 5e semaine) pris en dehors de la période 1er mai-31 octobre peuvent donner lieu à des jours de congés payés supplémentaires, souvent appelés « jours de fractionnement » (c. trav. art. L. 3141-23).

L’employeur doit ainsi octroyer aux salariés, sauf renonciation individuelle des intéressés :

-2 jours ouvrables supplémentaires si le salarié prend au moins 6 jours ouvrables de congé principal en dehors de la période allant du 1er mai au 31 octobre ;

-1 jour ouvrable supplémentaire s’il prend de 3 à 5 jours ouvrables du congé principal en dehors de cette période.

4/ Un accord d’entreprise ou d’établissement (à défaut, un accord de branche) peut fixer la période pendant laquelle la fraction continue d’au moins 12 jours ouvrables est attribuée ainsi que les règles de fractionnement du congé au-delà du 12e jour. Le cas échéant, l’accord collectif d’entreprise prime sur l’accord de branche.

Voilà, brossé à grands traits, le paysage des règles de fractionnement applicables à l’heure où nous rédigeons ces lignes.

Le contexte de l’affaire jugée le 5 mai 2021

Dans une affaire jugée le 5 mai 2021, la Cour de cassation s’est trouvée confrontée à une affaire de fractionnement des congés payés.

Les règles en jeu étaient celles antérieures à l’entrée en vigueur de la loi Travail du 8 août 2016, mais l’enseignement pratique à retenir de cette jurisprudence reste à notre sens valable dans le cadre de la législation actuelle.

Une société était spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de pâtes traditionnelles brick et filo. Afin de pouvoir apposer l’estampille « casher » sur ses produits, elle devait respecter les règles essentielles du judaïsme parmi lesquelles l’interdiction de travailler ou de faire travailler les samedis et durant les fêtes juives.

Dans ce contexte, les contrats de travail conclus avec les salariés indiquaient que la société étant sous le contrôle du consistoire israélite, les jours de fermeture exceptionnelle liés aux fêtes juives étaient obligatoirement décomptés des congés payés.

Une vingtaine de salariés avaient saisi la juridiction prud’homale afin de demander la condamnation de leur employeur au paiement de dommages-intérêts au titre de :

-la privation du droit à congé légal, en raison de l’absence d’accord des salariés au fractionnement des congés ;

-et la privation de deux jours supplémentaires de congé fractionnement.

Pas de renonciation aux droits liés au fractionnement par avance dans le contrat

Les juges d’appel avaient condamné l’employeur à payer diverses sommes aux salariés à titre de dommages-intérêts pour privation du congé annuel légal, décision qui a été validée par la Cour de cassation.

La Cour a commencé par rappeler les règles applicables à l’époque des faits (c. trav. art. L. 3141-19 dans sa version antérieure à la loi 2016-1088 du 8 août 2016), dont les grands principes sont identiques à ceux aujourd’hui en vigueur, à savoir, en substance :

-pas de fractionnement du congé principal sans l’accord du salarié ;

-droit à des jours supplémentaires de congé quand une fraction d’une certaine durée de ce congé principal est prise en dehors de la période dite des congés d’été (période légale à l’époque des faits), sauf renonciation individuelle du salarié ou accord collectif dérogatoire.

La Cour souligne ensuite que, aujourd’hui comme hier, le droit à ces congés supplémentaires naît du seul fait du fractionnement, que ce soit le salarié ou l’employeur qui en ait pris l’initiative.

Pour la Cour, le salarié ne pouvant pas renoncer par avance au bénéfice d’un droit qu’il tient de dispositions d’ordre public avant que ce droit ne soit né, il ne peut pas renoncer dans le contrat de travail à ses droits en matière de fractionnement du congé principal.

En conclusion, la Cour a approuvé l’arrêt des juges d’appel, selon lequel les salariés n’avaient valablement ni donné leur accord au fractionnement du congé principal, ni renoncé aux jours supplémentaires de fractionnement, ce qui justifiait la condamnation de l’employeur.

Autrement dit, une renonciation par avance aux jours de fractionnement ne peut pas être contractualisée dans le contrat de travail initial ou par avenant. Pas davantage, à notre sens, qu’un agrément de principe du salarié pour le fractionnement du congé principal.

À noter : au cas particulier, l’employeur avait tenté, sans succès, de s’appuyer sur la clause des contrats de travail prévoyant que les jours de fermetures liés aux fêtes religieuses étaient obligatoirement décomptés des congés payés.

Les autres méthodes de renonciation aux jours de fractionnement

À notre sens, cette jurisprudence ne remet pas en cause la possibilité pour l’employeur de subordonner une demande de prise de congé d’été de façon fractionnée à une renonciation du salarié aux jours de fractionnement.

La renonciation individuelle du salarié doit être expresse, mais elle peut par exemple résulter d’une mention du formulaire du demande de prise de congés payés (cass. soc. 30 septembre 2014, n° 13-13315 D).

Un accord collectif d’entreprise ou d’établissement (ou, à défaut, un accord de branche) peut également écarter l’attribution de jours supplémentaires de congé dans le cadre de la fixation des règles de fractionnement (c. trav. art. L. 3141-19).

La dérogation au droit aux congés supplémentaires doit être expresse (cass. soc. 10 octobre 2018, n° 17-17890 FSPB). La renonciation individuelle du salarié est alors inutile (cass. soc. 1er décembre 2005, n° 04-40811, BC V n° 354).

Fermeture pour congés payés et fractionnement
Pour considérer que le congé principal avait été fractionné en violation des dispositions du code du travail alors applicables, la Cour de cassation a également pointé l’absence d’avis conforme des délégués du personnel, à l’époque requis en cas de fermeture pour congés payés s’accompagnant du fractionnement du congé principal (c. trav. art. L. 3141-20 dans sa version antérieure à la loi 2016-1088 du 8 août 2016). Cette règle n’existe plus à l’heure où nous rédigeons ces lignes. De nos jours, l’avis conforme des représentants du personnel n’est plus exigé. Par ailleurs, l’employeur n’est pas tenu de recueillir l’accord du salarié en cas de fractionnement lié à une fermeture de l’entreprise pour congés payés (c. trav. art. L. 3141-19).

Cass. soc. 5 mai 2021, n° 20-14390 FSP

(source rf)

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